L’agriculture, un atout pour la biodiversité et le climat

Article paru dans le journal l’opinion le 30 décembre 2022

Avec un peu d’audace, il est parfaitement possible d’agir efficacement pour le climat et la biodiversité tout en enrayant le déclin de la filière agricole française.

Actuellement, 27 fermes disparaissent chaque jour dans notre pays et un tiers des agriculteurs Français gagnent moins de 350 euros par mois… Une situation qui dissuade bien souvent les jeunes de se lancer dans cette profession. Les maux dont souffre le secteur sont parfaitement connus et malheureusement typiquement français. Il s’agit de la sur-administration et d’une fiscalité décourageante ainsi que de mauvaises incitations envoyées par l’État aux agriculteurs au nom de la lutte contre le changement climatique.

Les terres agricoles françaises sont parmi les plus taxées d’Europe, ce qui abaisse fortement leur rentabilité. D’autre part, l’État soutient indirectement les revenus versés aux agriculteurs acceptant d’artificialiser leurs terres pour y implanter des éoliennes ou des fermes solaires. C’est une situation paradoxale car elle est totalement contradictoire avec l’objectif gouvernemental affiché dit « zéro artificialisation nette » (ZAN) inscrit dans la loi climat et résilience de 2021.

Efficacité. D’autre part, l’efficacité des éoliennes et des panneaux photovoltaïques pour diminuer les rejets de dioxyde de carbone dans l’atmosphère n’est pas démontrée dans l’état actuel des choses… Rappelons à titre d’exemple que nos voisins allemands qui ont très lourdement investi dans ces ENR rejettent sept fois plus de carbone dans l’atmosphère que nous proportionnellement, puisque cet investissement massif s’est accompagné d’un abandon du nucléaire, et donc de la réouverture de centrales à charbon pour compenser la perte de cette énergie pilotable.

La bonne nouvelle pour le climat et pour la filière agricole française provient d’une étude de l’INRA, l’initiative Quatre pour mille. Cette étude démontre qu’en modifiant les pratiques culturales, il est possible de stocker jusqu’à 60 % des émissions annuelles françaises de dioxyde de carbone dans les sols agricoles. Ce résultat est obtenu en changeant radicalement les méthodes culturales avec la mise en place de couverts végétaux intercalaires, l’introduction de prairies temporaires dans la rotation culturale, la plantation de haies (600000 Km de haies ont été détruites entre 1960 et 1980, soit la moitié du linéaire total), le développement de l’agroforesterie et l’apport de compost ou de résidus organiques.

Ces pratiques produisent une remarquable augmentation du taux de matière organique présente dans les sols, ce qui accroît leur fertilité, limite le recours aux engrais et séquestre du carbone tout en améliorant l’esthétique des paysages.

Agriculture régénérative. Des techniques qui se rapprochent de celles utilisées par les tenants de l’agriculture régénérative, qui vise à l’amélioration de l’écosystème agricole, en s’attachant en premier lieu à restaurer l’état physique et biologique des sols ayant subi une dégradation de leur structure et de leur fertilité. L’agriculture régénérative repose sur cinq piliers que résume Chuck de Liedekerke, l’un des fondateurs de la société belge Soil Capital, qui se propose de rémunérer les agriculteurs qui parviennent à baisser leurs émissions et à stocker un maximum de carbone dans le sol : « Il s’agit de réduire le travail du sol, notamment le labourage, d’augmenter le couvert végétal, de substituer aux produits phytosanitaires des engrais organiques, de diversifier la rotation des cultures et d’ajouter de nouvelles espèces, comme les arbres. »

Une approche qui concilie les avantages de l’agriculture conventionnelle et de l’agriculture biologique, et en évite les écueils. Une troisième voie de plus en plus plébiscitée par des mastodontes du secteur. Dans un entretien accordé en mai dernier au magazine germanophone suisse NZZ am Sonntag, Eric Eyrwald, le patron du fournisseur suisse de semences et de pesticides Syngenta, souligne qu’il s’agit de réaliser des « efforts pour préserver la fertilité des sols et la diversité naturelle tels qu’on les connaît dans l’agriculture biologique » tout en ayant recours de façon ciblée à « des produits phytosanitaires et des méthodes de sélection modernes pour éviter les pertes de récolte ». Il s’agit, en somme, de mieux respecter les sols, sans entraver leurs rendements.

Une étude de l’université de Cambridge publiée récemment arrive à la conclusion qu’une agriculture raisonnée à haut rendement est par ailleurs plus favorable pour la biodiversité que l’agriculture biologique. Un résultat paradoxal ? Pas vraiment si l’on considère qu’une agriculture à haut rendement permet de maintenir le niveau de production tout en y consacrant moins d’espace, les terres libérées pouvant être rendues à la nature ou plantées d’arbres afin de préserver et de développer la biodiversité tout en séquestrant là aussi du carbone (le bois des arbres est essentiellement constitué de carbone).

Les hauts rendements sont donc un atout pour la biodiversité à condition que la démarche ait pour objectif de libérer des terres agricoles et non pas d’augmenter la production globale du pays. Cette « révolution agricole » peut tout à la fois maintenir le niveau de production agricole, séquestrer du carbone bien plus efficacement que les ENR, augmenter la biodiversité ainsi que les revenus des agriculteurs. Une politique cohérente de lutte contre le dérèglement climatique devrait inciter les agriculteurs à s’engager dans cette démarche et les dissuader d’artificialiser leurs terres en y installant des éoliennes et des panneaux photovoltaïques.

Fiscalité verte. Une incitation fiscale puissante susceptible de motiver les agriculteurs à faire les efforts nécessaires consisterait tout simplement à aligner les charges de ceux qui s’engagent en faveur de l’environnement sur la moyenne des fiscalités s’appliquant aux agriculteurs dans les autres pays de l’UE. Cette « fiscalité écologique » doit impérativement se matérialiser par des baisses de charges pérennes plutôt que par d’énièmes subventions, par nature éphémères…Cette révolution fiscale consisterait tout simplement à rendre la concurrence loyale au sein de l’UE, ce qui va dans le sens de la construction européenne.

Une simplification normative est elle aussi ardemment désirée par les agriculteurs qui consacrent en moyenne une journée par semaine aux tâches administratives, une telle simplification qui récompenserait les agriculteurs qui souhaitent stocker du carbone dans leurs sols serait aussi puissamment incitatrice sans grever le budget de l’Etat. Ces « audaces » fiscales et administratives seraient probablement rentables à terme pour l’Etat Français car le surcroît de revenus lié à la baisse de la pression fiscale sur les agriculteurs devait créer des vocations et engendrer de nouvelles rentrées fiscales.

Pour passer d’une agriculture en perte de vitesse, décourageante, sous perfusion d’aides diverses et corsetée de normes et règlements administratifs à une agriculture écologiquement durable, entrepreneuriale, motivante et multifonctionnelle, les politiciens doivent repenser leur approche en acceptant d’en « faire moins » pour récompenser ceux qui s’engagent pour la biodiversité et le climat : moins de taxes et moins de normes !

Professeur de physique, Loïc Rousselle est porte-parole national et membre du bureau politique du parti Ecologie au Centre.